Pourquoi ce peu d’intérêt de la part de l’establishment politique du Sud à se doter des moyens pour qu’une communauté scientifique puisse voir le jour? II y a d‘abord des raisons culturelles. Dans le monde arabe, la véritable science est celle du Coran,de la vie du prophète et donc, tout ce qui est en relation avec la langue arabe et la religion.
Un lettré est un monsieur versé dans ces sciences-là. Les sciences modernes
ont eu du mal à dépasser cette barrière d'autant plus qu'elles avaient le visage du dominateur.
De plus, il y a eu l'impérialisme du modèle dominant occidental et peut-être
aussi des craintes politiques, dans la mesure où le pouvoir politique dans les pays du
Sud n'a pas toujours une assise très nette et ne s'est pas toujours constitué de façon
démocratique. Le pouvoir n'y a pas toujours envie de mettre en avant les scientifiques.
A contrario, en Algérie, on tue aujourd'hui des psychiatres, des médecins, des intellectuels
qui pourraient offrir une alternative à une solution politique des problèmes que
connaît ce pays.
Les avancées actuelles de la science, et notamment leur exploitation par ce que
l'on appelle d'un terme pompeux, les macro-systèmes techniques, et j'ajouterai les
multinationales, ont singulièrement changé la donne. Un grand observateur de la communauté
scientifique américaine, David Dixon, qui a été le correspondant de Nature pendant
une dizaine d'années à Washington, a dit que "la science est devenue aujourd'hui un
instrument de l'impérialisme marchand". Cette maxime ne se vérifie nulle part mieux
que dans le Sud. Les exemples sont nombreux: pesticides dangereux interdits dans
le Nord et déversés là-bas ; médicaments frelatés ; déchets toxiques. Souvenez-vous
de la déclaration de M. Summer, vice-président de la Banque mondiale en 1990, lorsqu'il
disait qu'il était absolument normal que les déchets soient traités dans les pays
africains puisque c'était des pays sous-pollués ! Tout ceci contribue à pousser les populations
du Sud dans les bras de l'irrationnel et induit certains comportements qui n'ont
rien à voir avec la science telle que pratiquée aujourd'hui.
S'ajoute à ceci l'exploitation par les multinationales des richesses biologiques du
Sud, sans une juste compensation à ceux qui ont gardé la mémoire et transmis les
savoirs ancestraux. Le cas des semences est à cet égard devenu classique. II y a eu
récemment des manifestations contre les multinationales qui améliorent des semences
à l'aide de gènes prélevés sur des plantes tropicales puis viennent les revendre dans
ces mêmes pays, sans que les paysans qui leur ont indiqué l'espèce aient bénéficié de
la moindre retombée. Avec le défunt GATT et les accords signés à Marrakech sur la
propriété intellectuelle, la situation ne peut guère s'améliorer.
Certaines avancées scientifiques majeures ont des effets "boomerang" dans de
nombreux pays du Sud. Un exemple : s'il est désormais possible de produire, à la suite
des avancées de la biotechnologie, de la vanille en grande quantité à Paris ou à Glasgow,
quel sera l'avenir d'une île comme Madagascar déjà extrêmement éprouvée ? Une
avancée scientifique est-elle toujours un progrès ? Jean-Jacques Salomon a écrit que
"l'image du progrès scientifique a cessé de coincider avec celle du progrès humain".
Evoquons également le cas du paludisme. Jean-Jacques Salomon n'a pas parlé de
Manuel Patarroyo. Or, ce chercheur de Bogota vient de mettre au point un vaccin contre
le paludisme. II a publié dans Nature trois papiers et s'est donc plié au rituel occidental
scientifique. Son vaccin vient d'être essayé en Tanzanie et l'OMS le soutient actuellement
pour la mise en oeuvre d'une deuxième phase des tests. Mais, depuis les indépendances,
l'intérêt des multinationales pour le paludisme et pour les maladies tropicales,
n'est plus aussi fort qu'au temps des colonies, parce qu'un vaccin contre le paludisme
n'intéresse aujourd'hui que deux milliards d'êtres humains désargentés. Par conséquent,
cette découverte n'a aucun intérêt pour le cash-flow des multinationales.
L'informatique et les télécommunications constituent une autre avancée de la science.
Malheureusement, lorsque les garde-fous juridiques n'existent pas, lorsque la critique
du pouvoir n'est pas autorisée, comme c'est très souvent le cas au Sud, ces progrès
peuvent affecter les libertés publiques et les droits de l'homme et par conséquent
rendre le combat pour la démocratie dans ces pays singulièrement difficile.
Enfin, dernier exemple : l'énergie nucléaire déchaine les passions lorsqu'il s'agit de
son exploitation dans les pays du Sud ; ce qui se passe sur le terrain international, si
l'on compare ce qui est accordé l'Irak ou à la Libye et le traitement réservé à la Corée
du Nord, suscite de nombreuses questions ...
Il est vrai qu'il faut des sciences et des techniques au Tiers monde sinon les pays
du Sud ne s'en sortiront pas. II n'en demeure pas moins qu'un très grand nombre
d'avancées peuvent se retourner contre eux et augmenter leurs souffrances et leurs
maux. Que faudrait-il ? Une science mutante dans le creuset de laquelle seront contrôlés
les savoirs traditionnels comme les connaissances les plus avancées du génie
humain et de l'homme contemporain.
II y a des réserves de rationalité, des principes logiques dans nos pays africains qui dans
différentes sciences devront être exploités pour donner de nouvelles dimensions à ces
disciplines". C'est la bonne démarche: prendre à l'Europe et lui donner à notre tour.
Si nous voulions tout recommencer à zéro ce serait un apartheid de l'esprit..
- Contrairement à ce que l'on croit, le vaccin contre le paludisme
n'existe pas encore. Manuel Patarroyo a un discours extrêmement publicitaire afin
d'avoir les moyens de travailler; et il a raison, il a obtenu beaucoup d'argent ainsi. Les
essais sont en cours actuellement et ils se termineront à la fin de cette année. Nous
n'aurons donc les résultats qu'à ce moment, voire en 1995. On ne peut pas se prononcer
aujourd'hui.
-Je voudrais cependant vous faire remarquer que la phase deux de
son vaccin a commencé en Tanzanie, sous supervision de la Suisse et de l'Espagne (il
n'est pas partie prenante dans l'affaire, il aura donc un jugement objectif), et sous l'égide
de l'OMS.
Oui, c'est sûr. Ce que l'on peut dire aujourd'hui, pour ramener le
problème à sa juste proportion, est que la balle est dans le camp des pays du Tiers
monde. Ce qui se passe actuellement dans les pays du Sud est essentiellement un
problème politique. La science et la technique ne sont absolument pas dans la priorité
des décideurs, comme on peut le voir dans le monde arabe. II est extrêmement important
de pouvoir lire sur les plaques des immeubles "nous avons une académie des
sciences, nous avons un institut de ceci ou de cela N. Mais quand on pousse la porte,
on s'aperçoit qu'il n'y a rien derrière. Seule la démocratie peut amener ces décideurs
à changer. Malheureusement, cela semble plutôt renvoyé aux calendes grecques.
- Larbi Bouguerra a évoqué une science mutante sans aller très loin
dans la réponse à la question que j'ai posée au début, "comment associer les techniques
traditionnelles et la technique moderne?" Sa seconde affirmation "la science
est contre le Tiers monde" ne permet pas non plus d'avancer. Pourquoi donc la science
serait-elle pour le Tiers monde? II n'y a aucune raison. La science n'est pas faite par le
Tiers monde mais par les pays du Nord, en particulier pour asseoir leur domination sur
le Sud.
- Le fait que la recherche se fasse à 95 % au Nord, et en grande partie
dans les pays anglo-saxons, est dangereux pour l'avenir de la pensée scientifique parce
que cela lui enlève d'immenses richesses culturelles. L'abandon du terrain est très
grave et sa reconquête, avec les recherches sur les villes, sur les systèmes naturels
ou agricoles par exemple, ne se fera qu'à partir de recherches scientifiques à long terme
et à court terme enracinées dans les pays concernés. II faut distinguer ces deux grands
types de recherche: celle menée dans des laboratoires climatisés et celle conduite
sous le soleil. II est possible d'exporter au Sud des laboratoires climatisés, en installant
à Dakar un laboratoire sur la culture in vitro par exemple, mais si des chercheurs nationaux
ne participent aux travaux qui y sont réalisés, cela n'avancera à rien.
- II ne peut pas y avoir, comme l'a justement souligné Alain Ruellan,
de sciences dans les pays du Tiers monde s'il y a abandon du terrain. Comment expliquer
cet abandon? Parce que, dans un très grand nombre de pays sous-développés,
il existe maintenant une bureaucratie de la recherche particulièrement développée. Elle
fait les lois et les textes dans les bureaux. La recherche sur le terrain n'est donc pas
toujours valorisante. Comment les scientifiques arrivent-ils dans les bureaux? Par népotisme
ou volonté politique.
- Que peuvent faire aujourd'hui les nouveaux chercheurs du Tiers
monde ? Je suis algérien et, après quelques années passées en France, j'hésite à rentrer
chez moi. C'est le cas de la plupart des jeunes chercheurs des pays en voie de développement
puisqu'ils trouvent plus facilement du travail au Nord. Que pourraient-ils
d'ailleurs faire chez eux où leur seule alternative est de prendre les armes et de changer
les pouvoirs ?
- Oui, mais il ne faut pas oublier que Manuel Patarroyo a eu, au début,
d'immenses problèmes pour faire reconnaître à ses collaborateurs anglais que son
travail avait une réelle valeur scientifique.
- Hormis ce qui a été dit à propos du nucléaire et la Corée,
je partage tous les points de vue de Lardi Bouguerra. II y a deux conditions pour qu'il y
ait de la science. La première : il faut des institutions et des traditions. La seconde: l'environnement
politique, quel qu'il soit, doit être favorable à la critique qui constitue le
fondement du progrès scientifique.
- Ce débat ne pourrait-il pas être un peu dédramatisé aujourd'hui? II
y a une vingtaine d'années, les chercheurs du Sud s'orientaient vers la recherche fondamentale.
II y eu ainsi beaucoup de physiciens théoriciens ; Abdul Salam en est un
exemple. Depuis, l'éventail s'est un peu équilibré. II y a davantage d'ingénieurs et même
de scientifiques qui s'adonnent à la recherche appliquée.
- "Faut-il au Tiers monde des sciences ou des techniques?" La
réponse à cette question très provocatrice dépend de l'histoire du pays, de sa culture,
de son stade de développement et de l'état de ses forces intellectuelles. II me semblerait
judicieux de réfléchir plus précisement aux questions suivantes : quelles sciences
et quelles techniques? De quoi parle-t-on effectivement quand on parle de science?
La science à laquelle on fait référence dans les instances internationales et entre nous
est celle qui tombe sour le couperet de l'évaluation internationale et plus précisément américaine.
Certains disent, en particulier les chercheurs de I'Orstom, que seule la
science du Nord est visible. 90 % de la production scientifique dont on parle est celle
conduite dans les pays du Nord ou dans ceux du Sud sous leur contrôle. II faut avoir
conscience que la science est celle qui est passée sous les fourches Caudines des
revues anglo-saxonnes, les seules considérées comme valeur de référence et source
d'authentification. La science n'existe - première embûche - que parce son contrôle
émane des scientifiques eux-mêmes. Mais comment le développement scientifique
va-t-il irriguer la société ? Qui bénéficie effectivement de ces connaissances et qui peut
les acquérir dans sa propre culture ?
Les mêmes problèmes se posent pour les techniques. Les techniques auxquelles
font généralement référence nos instances internationales sont celles développées
dans nos propres pays, imprégnées de la culture occidentale et forgées par le régime
très compétitif dans lequel nous vivons. Les techniques du Sud sont pour l'essentiel
des techniques transférées du Nord. "Comment les techniques sont-elles choisies,
adaptées aux différentes cultures, ou comment sont-elles créées dans celles-ci ?"
constitue l'une des questions fondamentales pour l'ensemble des pays du monde.
Je soulèverai également trois problématiques qui se sont fortement affirmées lors
du Sommet de Rio en 1992. La première concerne le capacitybuilding- il n'y a pas de
terme en français - et part du constat, fait par le Nord et accepté par le Sud, qu'il y a
dans les pays du Tiers monde un déficit d'hommes et de femmes ayant des connaissances
scientifiques et techniques leur permettant de produire et de s'approprier les
sciences et les techniques. Comment remédier à cet état de fait?
La deuxième problématique s'exprime à travers la culpabilité de tous les scientifiques,
au Nord comme au Sud: il y a une culture propre à chaque pays et des techniques
originelles, mais comment adapter ou mélanger les technologies modernes et
traditionnelles ? Selon moi, cette préoccupation relève encore du "discours" et demeure
un problème majeur.
La troisième problématique a été discutée lors la conférence de Manaus au Brésil
qui a suivi celle de Rio. Celle-ci a réuni des chercheurs des régions tropicales humides
dans l'objectif de voir comment ce climat, cette composante écologique et géographique
pouvaient contribuer à une approche environnementale et un mode de vie similaires,
quelles que soient les cultures d'origine. La question majeure posée a été :
comment faire en sorte que les pays du Sud, ayant une composante écologique, géographique,
et éventuellement scientifique semblable, mettent en place entre eux des
formes de coopération et des réseaux scientifiques et techniques propres, qui leur
permettent d'établir un dialogue avec le Nord et puissent servir de part et d'autre ?
quelle politique scientifique ?
-Je voudrais d'abord poser le problème de la politique de développement
scientifique en ce qui concerne les sciences en général puis, plus particulièrement,
les sciences sociales liées au développement. Je dois préciser qu'économiste
de formation, je ne suis pas compétent dans les sciences dites "dures"
Très franchement, il me semble que la question "faut-il au Tiers monde des sciences
ou des techniques ?" n’est pas très claire. Le problème n’est pas tellement de définir
les sciences en opposition aux techniques et les techniques en opposition aux sciences,
ce qui me paraît d’ailleurs très difficile à établir, mais il faut se demander quel type de
développement scientifique et technique un pays peut se donner. La réponse primordiale
est que ce sont les pays eux-mêmes qui doivent choisir leur politique scientifique.
Ils doivent donc se doter des instruments pour pouvoir opérer ce choix. Ce n’est pas
une simple formulation et l’on a trop souvent négligé ce qu‘étaient les exigences impérieuses
et rigoureuses de l‘élaboration d’une telle politique.
Elaborer une politique scientifique signifie tout d’abord évaluer la demande sociale
et identifier les réponses possibles dans chaque pays et à tout moment. Cela implique
également une définition des priorités. Sur quels critères peut se fonder la définitidn
de priorités? Voilà, me semble-t-il, le rôle principal d’une véritable politique, à savoir
l’identification des avantages et des coûts collectifs des différentes options. Ce n’est
cependant pas très facile car nous ne disposons pas de techniques très au point pour
cela. Quand on parle de coûts et d‘avantages collectifs, on doit se demander qui va en
supporter les coûts et qui sacrifie-t-on en prenant telle orientation plutôt que telle autre.
Martine Barrère vient de le souligner dans une formule excellente "comment le développement
scientifique va-t-il irriguer la société?" Cela suppose des méthodes très
précises de définition des politiques.
Dans le domaine des sciences sociales, dans la mesure où elles concernent le déve
loppement, la réponse est beaucoup plus facile à donner, encore qu’elle ne soit guère
acceptée actuellement. Aujourd’hui, personne n’a le monopole de la réflexion fondamentale
sur le développement. Ce serait une aberration de soutenir, comme c’est le
cas dans certaines universités, que la réflexion fondamentale doit être laissée aux
grandes universités européennes ou américaines et que la collecte des données ou la
base empirique du savoir sont réservées au Sud. Je ne vois pas ce qui permettrait
d‘abandonner au Nord la réflexion fondamentale sur la nature du développement, sur
ses finalités et ses objectifs, sur son mode d’organisation. Avoir attribué le mot de
"développement" aux seuls pays du Sud jusque très récemment est également une
inepsie. II y a des problèmes de développement à l’Est et au Nord qui sont extraordinairement
profonds et dont personne ne connaît la solution. La généralisation de ces
dilemmes sur l‘ensemble de la planète, nous entraîne dans une course folle vers l’inconnu.
Au Nord comme au Sud, nous ne savons pas où nous allons.
Un effort collectif est donc de plus en plus indispensable. Mais ceux qui pourraient
en être les acteurs dominants affichent une démission très inquiétante. Les organisations
internationales, qui ne sont pas directement responsables du développement
scientifique, mais participent largement à la réflexion sur le sujet, sont incapables de
sortir d’un modèle stéréotypé. De nombreux chercheurs sont également coupables de
démission car ils répondent d’abord aux exigences de leur carrière ou à un certain
conformisme. La réflexion ne peut venir des entreprises parce qu‘elles ont une autre
finalité.
II est également très important que cette réflexion sur le développement et l‘effort
des sciences sociales en la matière se portent sur les objectifs autant que sur les moyens.
Ce qui me frappe dans la réflexion menée par les organisations internationales
-je les connais un peu pour les avoir beaucoup pratiquées - est que les objectifs
du développement sont toujours supposés être la participation à la compétition
internationale et l'intégration dans les échanges mondiaux. Ce que l'on ne remet jamais
en cause. Les moyens proposés sont alors stéréotypés et réduits à des problèmes
strictement techniques et locaux. Si vous n'acceptez pas ce conformisme, vous êtes
contraints de renouveler votre réflexion sur les modèles de développement.
Dernier point: s'il est désormais banal de parler de méthode interdisciplinaire, il est
beaucoup plus difficile qu'on ne le dit de la mettre en oeuvre. II me paraît très important
de réfléchir à nouveau sur la relation dialectique entre les faits et les théories. De
nombreux travaux consistent à essayer de prouver qu'une théorie est vraie et que tel
fait est intéressant puisqu'il correspond à la théorie de X ou Y.
C'est l'inverse de ce qu'exige la démarche intellectuelle. Quelle aberration ! L'essentiel n'est pas de démontrer
que telle ou telle théorie est vraie, mais de comprendre des faits et de se demander
si l'on a des théories qui les expliquent. Si on ne les a pas, il faut en inventer d'autres.
Un intervenant - Les faits sont effectivement importants. Mais en physique, il y a
parfois plusieurs théories; il faut donc savoir si la théorie, celle d'Einstein par exemple,
est vraie ou pas, n'est-ce pas? Vérifier qu'une théorie est vraie, cela signifie vérifier
qu'elle décrit bien les faits expérimentaux et le monde physique. En sociologie, peutêtre
est-ce différent?
-Je ne suis pas du tout en désaccord avec cela. II faut effectivement
pouvoir vérifier les théories, mais ce n'est pas le but de l'effort scientifique. En
matière de développement, une théorie vérifiée n'est utile que si elle permet de
comprendre ia réalité.
Un intervenant - Sur un plan plus philosophique et éthique, la question faut-il au
Tiers monde des sciences et des techniques ?" relève encore une fois d'un débat entre
gens du Nord. Je ne peux m'empêcher de faire un parallèle avec la fameuse controverse
de Valladolid : lors des premières colonisations de l'Amérique, les Européens se
sont demandés [si les sauvages étaient des hommes, s'ils avaient une âme, s'il fallait
les évangéliser] ... En posant cette question n'induit-on pas ce genre de controverse, à
savoir: les pays en voie de développement sont-ils capables de contribuer au progrès
de l'humanité, à l'augmentation de la connaissance, etc. ? Ce débat, éthiquement, n'est
pas soutenable. Avant de s'interroger sur la nécessité de sciences ou de techniques
pour le Tiers monde, il faudrait affirmer haut et fort que ce débat ne se fondera jamais
sur l'axiome : il y a une humanité à la pointe de la science et une autre incapable de
contribuer au progrès de celle-ci.
La question m'offre l'occasion
de mettre les choses au point et de dissiper quelques malentendus. S'il va de
soi qu'il en faut et même beaucoup, la vraie question est de savoir lesquels. Je ne peux
qu'approuver les propos Christian Coméliau sur les sciences sociales :tout dépend des
objectifs que l'on se donne dans le contexte d'une définition, théorique ou pas, de ce
que doit être le développement de son pays ou d'une région donnée. Là réside d'ailleurs
la source de toutes les ambiguïtés des politiques de développement menées depuis
une quarantaine d'années et qui ont conduit à un constat relatif d'échec dans certains
cas et de succès beaucoup plus rarement, hélas.
car la notion de dévelop
pement, Christian Comeliau l'a rappelé, n'est pas apodictique comme pourrait l'être la
théorie d'Einstein par exemple. Le développement a du mal à se vérifier. De ce point
de vue, il existe une petite différence entre l'épistémologie des sciences sociales et
celle des sciences dites "dures".
En dépit de ce que la communauté scientifique internationale n'a cessé de revendiquer
et que tant de représentants des pays en développement ont également appuyé
-cette maison, les Nations Unies et certaines autres institutions-, il m'est arrivé d'écrire
que l'histoire des sciences et des techniques tout comme l'expérience pratique du
développement de ces quarante dernières années montrent que la recherche fondamentale
n'est pas indispensable dans certaines conditions (que je vais préciser) au
développement de nombreux pays en développement. II me faut cependant nuancer
cette affirmation : il y a des pays en développement qui disposent d'infrastructures
scientifiques, d'une tradition relative dans ce domaine depuis plus d'un siècle, de gens
formés, de dirigeants -quels qu'ils soient, dictateurs ou non (le rôle de ceux-ci de ce
point de vue n'est d'ailleurs pas sans importance) -qui reconnaissent à l'institution et
aux activités scientifiques un élément de dynanisme indispensable au progrès éconcmique
et social de leur pays. Nous connaissons ces pays. S'ils sont assez nombreux
par bonheur, ils constituent dans l'ensemble des pays membres des Nations Unies une
infime minorité.
La plupart des pays en développement, en Afrique, en Amérique latine et en Asie,
ont vécu sur l'idéologie d'une science qui leur permettrait de rattraper les pays dits,
non pas développés, mais industrialisés. Cela a conduit à beaucoup d'erreurs, de
dépenses inutiles et d'éléphants blancs. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille se
passer de la recherche fondamentale. Cependant l'histoire nous a appris, en particulier
celle du Japon, celle des pays européens avant la Révolution industrielle et celle plus
proche de nous des quatre petits dragons d'Asie, que l'on peut se développer rapidement
et être présent sur le marché international des technologies sans pour cela bénéficier
d'un capital de recherche fondamentale très important. Le cas du Japon le montre
à l'évidence: ce n'est que lorsque ses succès technologiques, entre la fin de la Grande
Guerre et les lendemains de la seconde guerre mondiale,
lui ont permis de disposer d'une certaine croissance économique et d'institutions adéquates,
que le Japon s'est résolument engagé dans un eff Ort de recherche fondamentale, parce que l'évolution
des technologies le demandait et parce que ce pays disposait des ressources et de la
main d'oeuvre indispensables.
Dans la grande majorité des pays en développement, hormis dans des pays continents,
tels le Brésil, la Chine et l'Inde, ces infrastructures n'existent pas, le contexte
économique ne s'y prête pas et il n'y a pas de tradition scientifique. La plupart d'entre
eux ont cependant disposé de structures pour élaborer des politiques scientifiques,
mais celles-ci n'ont conduit qu'à la création d'une bureaucratie sans institutions scientifiques,
si ce n'est celles qui étaient soutenues, voire offertes par les anciens pays
colonisateurs. Ce discours sans concessions permet de revenir sur terre, non pour
prétendre qu'il est possible de se passer de recherche fondamentale, mais pour affirmer
que celle-ci est indispensable pour former et encadrer des équipes nationales qui
pourront tirer parti des connaissances scientifiques et techniques et les appliquer à la
stratégie de développement que leur pays lui-mêmeaura définie. Mais enfin la science,
la bonne science et il n'existe de science que très bonne, ou ce n'est pas sérieux, c'est
celle qui répond aux critères de la communauté scientifique internationale.
Je voudrais attirer votre attention sur le coût social des politiques de science qui se
sont limitées à reproduire le modèle scientifique des nations les plus avancées. Les
Etats qui ont conduit ce type de politique ont envoyé dans les pays industrialisés des
talents qui ne sont jamais revenus ou qui, à leur retour, n'ont pas trouvé d'institution
où utiliser leur savoir et leurs compétences. Cela explique d'une part, le brain drain et
d'autre part, le malaise des communautés scientifiques des pays en développement
dont le système social ne reconnaît pas l'importance de la science en tant que telle.
L'imitation des modèles américain, européen, ou soviétique à l'époque où il pouvait
encore exercer ses charmes, a amené, en Afrique en particulier, avec l'aide bien sûr
des ex-pays colonisateurs, à la création d'institutions d'enseignement supérieur. Ces
structures ont produit de nombreux docteurs et très peu de cadres intermédiaires ou
d'ingénieurs aptes à maîtriser le système technique avancé sur lequel aujourd'hui nous,
pays du Nord, vivons. Les pays en développement ont de bons professeurs et parfois
de bons docteurs, mais ne bénéficient ni d'infirmiers, ni de médecins, ni de techniciens.
Le Brésil offre un admirable exemple de ce point de vue. L'Inde, premier pays du monde
pour la quantité de chercheurs formés chaque année, est aussi celui qui possède le
plus grand nombre de scientifiques au chômage et qui "exporte" dans les pays industrialisés
le plus de chercheurs.
Cela ne signifie pas que l'on puisse se passer de recherche fondamentale, mais que
l'on y a investi des sommes disproportionnées alors que l'on aurait pu être beaucoup
plus efficace en généralisant l'enseignement primaire comme ce fut le cas en Europe
au XIX~ siècle. La Révolution industrielle ne s'est pas faite en effet avec la Science et
l'université, mais à partir de l'école élémentaire et de l'enseignement professionnel.
C'est ce qui a par exemple permis de passer très facilement du forgeron au mécano
de l'industrie automobile.
"quel est l'impact sur le développement
d'une politique de science qui se consacre pour l'essentiel à la recherche fondamentale ?
N, la réponse était "nul". .. dans le court terme, où que ce soit ! La recherche
fondamentale produit de l’information disponible pour la communauté scientifique internationale.
Qui en profite ? Ceux qui sont capables de transférer ces connaissances et
informations dans le savoir-faire immédiat des préoccupations économiques, industrielles,
ou en matière de santé.
Les pays en développement membres des Nations Unies ne doivent pas avoir pour
objectif de reproduire les prouesses scientifiques d‘Einstein. C‘est une question de bon
sens ! Entre nous soit dit, quand ils arrivent à les imiter, l’exemple de réussite le plus
parfait est celui d’Abdul Salam, mais il travaille à Trieste et non au Pakistan ! Leur objectif
devrait être tout simplement de résoudre les problèmes les plus urgents - la survie,
la faim ou le chômage - et non de se mesurer dans la compétition internationale par
l‘acquisition de nouvelles technologies.
On pourrait ajouter à l‘exemple du système éducatif européen celui
de Singapour ou de Taïwan. Le développement de ce deux pays s’est d’abord, quelles
que soient les différentes phases de leur développement agricole, industriel ou de techniques
de pointe, fondé sur le système éducatif. II y a quatre ou cinq ans, 90 % des
jeunes Taïwanais avaient le niveau du baccalauréat. Effectivement, les nouveaux dragons
aujourd’hui ont parfaitement compris la nécessité d’un système éducatif qu’ils mirent
en place bien avant de se tourner vers la recherche fondamentale.
II est vrai, comme l‘a souligné Jean-Jacques Salomon, que le Japon a fait de la
recherche fondamentale dès lors qu’il a bénéficié des ressources financières et des
hommes nécessaires, mais également parce qu‘il a été encouragé en cela par la pression
internationale sous l’injonction du fameux "arrêtez de nous copier ! ". Lorsqu’ils
ont atteint un certain développement, les Japonais, de façon extrêmement astucieuse,
n’ont pas privilégié la création de centres de recherche fondamentale dans leur pays,
mais ont créé dans les pays occidentaux des centres où ils sont minoritaires, dont les
capitaux proviennent principalement du Japon et où ils arrivent à drainer les meilleurs
chercheurs du pays d’accueil.
-Je n‘ai pas voulu dire qu‘il n’y avait pas de recherche fondamentale
au Japon vers 1880, au début de l’ère de Meiji. Deux exemples : en physique,
ils ont eu d’excellents scientifiques au lendemain de la guerre 14-18 et, même avant,
un élève japonais de Pasteur, Kurasatou, est apparu dans la liste des nobélisables. La
philosophie des sciences au Japon est différente de la nôtre. Les Japonais ont découvert
la science occidentale à travers l‘impérialisme européen et les bateaux qui ont violé
leurs frontières Cela les a d’ailleurs beaucoup frappés, d’où Port-Arthur. .. Pour eux, l‘intérêt
de la science européenne, ce fut la technologie. Aujourd‘hui encore, le rapport du
Japon à la science révèle une obsession de la technologie. Leurs universités n’ont pas
tout à fait le même statut que les nôtres, et leur essor industriel est dû, depuis 1945,
pour l’essentiel à des institutions extra-universitaires.
-Vous dites que l‘on n’a pas donné la priorité à l’enseignement
primaire, mais aux formations scientifiques dans l’enseignement supérieur; on pourrait africains,
mais les populations n'ont ni les moyens ni les connaissances qui leur permettraient
d'y avoir accès, donc ceux-ci "s'exportent". II faut donc commencer effectivement
par développer et distribuer des ressources à la base.
également dire que l’on a formé beaucoup de médecins dans de nombreux pays Quoi qu'il en dise, le discours de Jean-Jacques Salomon est sans
nuances.. . J'ajouterai deux ou trois choses également sans nuances !
Premièrement, ras le bol du court terme ! Cela fait trente ans qu'à force d'en parler,
il n'y a aucun projet à long terme et que l'on rate tout. Sous prétexte qu'il faut régler
les problèmes de l'année prochaine, on ne règle ni ces problèmes ni ceux qui se présenteront
dans dix ans. Je crois au contraire beaucoup au long terme dans la recherche
scientifique.
le Japon, l'Inde et l'Afrique feraient mieux de faire du technique et laisser aux Américains
la science a justement favorisé cette situation. Le pouvoir scientifique est de plus en
plus entre les mains des Anglo-saxons. Les Français luttent comme ils peuvent, mais
ils acceptent les normes qu'ils imposent. Je dis cela pas simplement par agressivité
contre l'hégémonie de leur discours, mais aussi parce qu'il contribue à un fantastique
appauvrissement. L'universalité de la science n'existe pas. Or, on se prive de plus en
plus de la diversité culturelle dans la recherche scientifique. Je me bats pour la recherche
fondamentale dans tous les pays du monde parce que je crois à la possibilité d'un enrichissement
mondial de la recherche grâce à la contribution de tous les peuples, de tous
les pays, de toutes les cultures. Cela coûte cher, bien sûr !
Quant aux systèmes éducatifs, ils ne se construisent que sur des bases scientifiques
solides. Le système d'éducation français mis en place il y une centaine d'années
ne s'est pas fondé sur une absence de science. Celui-ci, y compris l'école primaire,
a été créé parce qu'il y avait des données scientifiques à valoriser. II ne faut pas vouloir
favoriser le système éducatif au détriment de la recherche scientifique fondamentale.
Ce serait une erreur.
- Je voudrais abonder dans ce sens. C'est une erreur d'affirmer que
des pays n'ont pas de tradition scientifique et donc qu'ils ne doivent pas faire de
recherche fondamentale. A ce train là, ils n'en n'auront jamais ! Ce ne sont que des
formules répétées depuis dix ans. Selon vous, c'est le problème de la faim qui est
important. Prenons l'exemple des nombreuses populations des pays tropicaux qui
consomment du manioc. Qui s'occuperait de la recherche fondamentale sur le manioc,
si ce n'était les pays du Sud? Aucune firme, aucun laboratoire du Nord ne le ferait. On
peut dire la même chose à propos du paludisme.
-Ce n'est pas parce que la recherche fondamentale n'a pas eu
d'impact sur le développement que, par principe, elle est inutile. D'ailleurs, parmi tout
ce qui a été fait pour le développement, qu'est-ce qui a eu un impact ? Les financements
internationaux, les investissements des éléphants blancs en ont-ils eu un ?
Par ailleurs, un chercheur, qu'il soit centrafricain, colombien ou qu'il appartienne à
un autre pays du Sud, travaillant sur une question telle que le paludisme,
par exemple,serait-il dans une situation anormale si ses travaux, même réalisés dans des conditions
difficiles, précaires ou instables, apportaient des résultats ?
- II suffit de mettre en cause les idées reçues dans ce
domaine - souvent de pures idéologies - pour aussitôt apparaître comme celui qui
pense que les bons sauvages qui accueillaient les Espagnols étaient incapables de voir
autre chose que des dieux dans les envahisseurs, par opposition aux Espagnols qui se
demandaient si c‘était des hommes ! Ne me faites pas de faux procès et ne me prenez
pas pour le raciste post-colonialiste que je ne suis vraiment pas. Lisez-moi plutôt ! J’ai
pris le soin d’écrire avec le maximum de nuances des choses qui me tiennent à coeur.
Le bilan des politiques de développement ne témoigne pas d‘un succès magistral. Mais
cela n‘a rien à voir avec la science, c’est un problème de choix politique. Qui travaille
sur le paludisme aujourd‘hui, hormis l’Institut Pasteur, quelques laboratoires spécialisés
pour la plupart situés dans des pays industrialisés dont, permettez-moi de vous le
dire, le niveau de recherche n’est pas génial?
II est vrai que l’enseignement élémentaire français a été lié à la révolution scientifique,
mais quel était son premier objectif: savoir lire, calculer et écrire. Or, I’analphabétisme
dans les pays en développement, n‘est-il pas un grand problème?
Si l‘on se préoccupe du développement en fonction des besoins réels d’un pays, si
dans cette préoccupation on a pour objectif la distribution relative des recherches ce
n‘est pas par la science que l‘on y arrivera mais par des engagements politiques et
économiques très précis. Encore une fois, ne me faites pas dire ce que je n’ai jamais
dit, à savoir qu‘on peut se passer de la science. Je ne suis pas contre la science fondamentale,
mais je crois qu‘il y a autre chose.
Pour revenir sur le court et le long terme. Le long terme est une belle préoccupation
de pays riches. Dans le court terme, il y a des gens qui meurent, il y a des institutions
politiques monstrueuses qui débouchent sur les catastrophes que nous avons
connues. Parce que l‘on a une pensée étrange du long terme, on a sacrifié les objectifs
indispensables du court terme.
Pourquoi ce peu d’intérêt de la part de l’establishment politique du Sud à se doter
des moyens pour qu’une communauté scientifique puisse voir le jour? II y a d‘abord
des raisons culturelles. Dans le monde arabe, la véritable science est celle du Coran,
- Personnellement, je ne suis pas du tout un adepte des armes. Au
cours de ma vie scientifique, je n'ai combattu qu'avec un stylo et un tableau noir ! II
est vrai que dans de très nombreux pays du Tiers monde, il y a beaucoup de jeunes
chercheurs qui abandonnent la recherche une fois leur thèse soutenue, car ils ont été
nommés maîtres de conférence ou professeurs. S'il y a quelque chose que le Nord
pourrait nous apporter, ce serait de contribuer à ce que ces travaux se poursuivent sur
le long terme et que ils ne soient pas une simple reproduction, pour reprendre une
expression de Pierre Bourdieu.
Je crois que l'avancée des sciences dans les pays du Tiers Monde ne peut se faire
fondamentalement qu'à travers les sciences expérimentales, tempérées bien sûr par
les siècles de philosophie et de sagesse qu'ont connues et qu'ont exercées nos peuples.
- Le texte suivant est tiré de Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée
- (Paris, UNESCO : Bureau international d’éducation), vol. XXIX, n° 4, 1999, p. 699-711.
- ©UNESCO : Bureau international d’éducation, 2000
- Ce document peut être reproduit librement, à condition d’en mentionner la source.
- JOSEPH KI-ZERBO
- (1922—)
Amadé Badini1
Le développement clés en tête 2
Le professeur Joseph Ki-Zerbo est incontestablement l’un des penseurs de l’Afrique contemporaine
qui auront marqué leur époque.
Intellectuel classique moulé par les écoles et les universités de France pendant la période
coloniale, il vécut dans sa chair, son esprit et son intelligence les affres et les abus divers que la
colonisation, sa logique, ses objectifs et ses méthodes ont imposés aux peuples d’Afrique, ceux
d’Afrique noire notamment, depuis le début du siècle et même au-delà. La ferme conscience qu’il
avait de ses origines, l’attachement qui était le sien pour son pays et son peuple, le sentiment de
reconnaissance envers son continent et la révolte saine et forte qui grondait en lui ont achevé de
faire de lui un militant de première heure des luttes de libération nationale et africaine ; ce
militantisme permanent se nourrit malgré tout de la science qu’il a acquise dans les structures
éducatives de la puissance coloniale.
Savant, Ki-Zerbo l’est en effet. Agrégé d’histoire, diplômé de l’Institut d’études politiques
de Paris, il personnalisait déjà la transdisciplinarité, « l’indisciplinarité » (E. Morin) qui va devenir
plus tard la toile de fond épistémologique de l’approche qu’il préconise à propos des questions du
développement de l’Afrique. « Ce n’est posséder aucune science que d’en connaître une seule »,
comme le disait Descartes dans les Règles pour la direction de l’esprit. Ki-Zerbo l’a compris et
réalisé à travers une grande avidité pour la lecture et une curiosité intellectuelle soutenue des réalités
et de la sagesse traditionnelle africaine, burkinabé et samo, dont il s’inspire sans arrêt comme une
source intarissable de connaissances et d’inspiration vivifiante pour les luttes d’émancipation
actuelles et pour le développement.
Fidèle en cela à l’esprit des intellectuels de sa génération, Ki-Zerbo n’est pas resté cet
« intellectuel contemplatif » et narcissique qui se contentait de « chanter » l’Afrique en la
folklorisant du haut du piédestal légué par le colonisateur d’hier. Bien au contraire, il a compris très
vite que la science qu’il a acquise, loin d’être une fin en soi, était plutôt une arme, un moyen pour
participer, aux côtés des peuples africains, à la lutte pour le développement. Mieux, elle lui imposait
une responsabilité supplémentaire et suscitait en lui — qui a appris à « l’école du Blanc » « à vaincre
sans avoir raison » ! (C. H. Kane) — un sentiment de mauvaise conscience ; pour la chance qu’il
avait eue d’aller à l’école, il se sentait le devoir moral et quasi religieux de rembourser la dette
contractée auprès de son pays : Ki-Zerbo est un savant et un militant africain.
Il serait fastidieux de vouloir, dans un texte comme celui-ci, faire le point sur toute l’oeuvre
et la pensée d’un tel homme, d’autant plus qu’il est toujours vivant et qu’il est loin « d’avoir vidé
son carquois ». Nous allons plutôt tenter, pour le moment en tout cas, de présenter l’homme en tant
que théoricien et praticien émérites de l’éducation de l’Afrique contemporaine.
Comme pour corroborer le dicton « nul n’est prophète en son pays », le professeur Joseph
Ki-Zerbo est plus connu et apprécié à l’étranger que dans son Burkina Faso natal, du moins en tant
2
que personnalité scientifique d’une très grande culture, spécialiste de l’histoire africaine où il fait
autorité. Figure emblématique de l’histoire contemporaine de l’Afrique noire, il a dans son pays
toute la configuration d’un personnage quasi mythique : son ombre est omniprésente — quoique
parfois floue — dans tous les grands événements de la vie nationale voltaïque et burkinabé.
En effet, Ki-Zerbo a toujours été présent sur la scène politique nationale, à travers
notamment le Mouvement de libération nationale, le parti qu’il créa en 1958. Il a influencé plus ou
moins directement le devenir du pays, tantôt à visage masqué comme un tireur de ficelle embusqué
dans l’ombre, tantôt en acteur intrépide et convaincu (faute d’être toujours convaincant) pendant les
rares séquences plus ou moins longues où, à la faveur des courants démocratiques, les luttes et les
débats politiques se faisaient au grand jour.
Homme politique donc, comme l’étaient et le sont encore la plupart des intellectuels de sa
génération, Ki-Zerbo est aussi et d’abord un théoricien, un acteur et un militant de l’histoire
africaine qu’il a travaillé à faire connaître des grands cercles intellectuels, européens en particulier. À
ce titre, l’histoire en tant que discipline académique a servi de paradigme constant à sa vie
intellectuelle d’une richesse extraordinaire et aux positions toujours hardies qu’il prend sur toutes les
questions fondamentales de son époque, de son continent et de son pays : la politique naturellement,
la problématique du développement, mais aussi et surtout l’éducation pour laquelle il a apporté des
contributions théoriques et pratiques de très grande importance.
Pour mieux rendre compte et apprécier ce que Ki-Zerbo a apporté à l’éducation africaine
sur le double plan théorique et pratique, il est nécessaire — au moins — d’avoir présente à l’esprit
toute la diversité impressionnante de son oeuvre d’historien et de militant africain des années de la
décolonisation.
Les balises intellectuelles de sa pensée
D’entrée de jeu, une persistante question vient à l’esprit dès que l’on réfléchit sur la vie intellectuelle
et la pensée éducative, en particulier, de Ki-Zerbo : d’où lui vient son acharnement pour le « penser
par soi même » posé alors comme fondement premier de toute action humaine authentique, en
particulier pour l’Afrique ? L’histoire personnelle de l’homme (due en partie à l’éducation qu’il a
reçue de sa société traditionnelle), sa préférence affichée pour les auteurs classiques de la littérature
occidentale, pour la philosophie grecque antique et pour celle des Lumières, sa profonde fierté
d’appartenir au continent d’où a émergé l’humanité : ces différents éléments, alliés au phénomène
historique de la colonisation qui l’a peu ou prou forgé, nous paraissent être les déterminants
essentiels de sa position intellectuelle et sociale, laquelle sonne du reste comme un cri de
revendication identitaire, d’indépendance et de liberté en faveur de l’Afrique noire.
En tout état de cause, un peu comme par réaction à l’idéologie dominante à travers laquelle
l’Afrique et l’homme africain étaient perçus et traités, Ki-Zerbo aurait intériorisé tôt la maxime par
laquelle Kant définissait les Lumières : « Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre
entendement ! » (Qu’est-ce que les Lumières ? GF 1991, p. 43. AK VIII, 35). La maxime de
toujours penser par soi-même, c’est-à-dire de conjurer l’irresponsabilité de la raison servile au profit
de la responsabilité de la raison autonome, s’impose comme la volonté constante de rechercher, en
soi-même et par soi-même, la pierre de touche de la vérité et les mécanismes de sa libération.
De là l’aversion de Ki-Zerbo envers le mimétisme, envers le « développement clés en
mains », au bénéfice de l’esprit de créativité, de l’imagination et pour un « développement clés en
tête », c’est-à-dire un « développement endogène ». De là encore la contradiction logique et
presque inexplicable dans laquelle il se serait installé en voulant à la fois respecter et interpeller la
tradition (le passé, la coutume ou le préjugé) et faire le saut nécessaire dans l’inconnu. C’est vrai
qu’il insiste régulièrement sur le fait important que le passé n’est qu’une référence qui ne serait utile
à prendre en considération que dans la mesure où il situe l’individu par rapport à ses « racines » et
l’incite à savoir « d’où il vient », pour savoir « où il va » et « comment y arriver ».
3
Selon le contexte politico-historico-culturel qui est le sien et l’exigence de « lutte de
libération » permanente qui le hante, il s’agit d’affirmer et surtout de faire reconnaître à l’individu
(élève, chercheur), en l’occurrence africain, qu’il est lui-même capable de penser et que « la pensée
ne se développe que d’elle-même ». Tout développement est de soi à soi-même, affirme l’esprit
socratique qui insiste pour faire découvrir à chacun sa puissance, sa richesse avant d’aller la
chercher chez autrui, fut-il professeur ou puissance étrangère.
Considérée comme point de départ catégorique pour toute réflexion ou action utile, cette
insistance, de la part de Ki-Zerbo, ne doit pas faire oublier le caractère seulement apparent de la
contradiction dont il était question plus haut. Car, il le sait bien et l’affirme tout aussi régulièrement,
il faudrait éviter de s’enfermer, de s’enliser, dans cet « égoïsme logique » de Kant, qui inviterait à
vouloir « penser seul », à se replier sur soi, à s’isoler dans la sphère du subjectivisme aveuglant,
même si, reconnaît l’auteur de l’Anthropologie (Kant, par. 2), « c’est ne pas penser du tout que de
penser sous la férule d’une puissance étrangère ». La réalité historique actuelle ne l’autoriserait pas,
et l’objectivité de la pensée, donc la vérité, ne le supporterait pas non plus : celui qui ne vérifie pas
ses opinions, qui ne se frotte pas et ne confronte pas son jugement à celui d’autrui, ne saurait
atteindre le vrai ni contribuer, par là, à sa réflexion critique, à son développement ou à celui de son
pays. L’exercice de la liberté de penser est certes une affaire personnelle mais n’est pas pour autant
une affaire privée ! C’est une affaire publique.
Néanmoins, la contradiction persiste surtout sous son aspect culturel et psychologique :
l’intellectuel africain d’aujourd’hui est lui-même profondément un être de contradiction, perdu entre
une tradition (racines) qui lui échappe et un avenir qui se fait attendre (avec tant d’incertitudes !) du
fait que le présent lui même est un problème. Au moins Ki-Zerbo a-t-il eu le mérite de le
reconnaître, de le vivre, pas seulement de manière sentimentale mais aussi dans sa pratique et dans
sa pensée politiques et éducatives, comme sa formation académique d’historien l’y prédisposait.
L’implication directe de Ki-Zerbo dans le domaine spécifique de l’éducation a commencé
par sa vie professionnelle en tant que professeur d’histoire. Après son succès à l’agrégation en 1956,
il enseigna d’abord aux lycées Buffon à Paris, Pothier à Orléans, Van Vollenhoven à Dakar
(Sénégal), avant d’arriver à Conakry (Guinée) au lycée Donka (1958-1959) et enfin à
Ouagadougou (Haute-Volta, aujourd’hui Burkina Faso) au lycée Philippe Zinda Kaboré.
De ce périple, il conviendrait de s’arrêter sur son bref séjour à Conakry, capitale de la
Guinée de Sékou Touré, et cela pour des raisons évidentes. En effet, il fit partie des intellectuels
patriotes qui, dans un élan de panafricanisme militant, ont volé au secours de la Guinée du 28
septembre 1958. Celle-ci était alors victime des représailles de la France, à la suite de son « non » au
référendum du général de Gaulle, qui décida de rapatrier tous les cadres français dont un grand
nombre étaient des enseignants. Il s’agissait pour ces jeunes intellectuels révolutionnaires d’affirmer
leur solidarité au Parti démocratique guinéen et au peuple de Guinée, leur orientation antiimpérialiste
et leur détermination à oeuvrer pour l’indépendance réelle de l’Afrique.
Mais très vite Sékou Touré (Tenaille, 1979, p. 193-195) leur rendit la vie difficile : il avait
une peur bleue des intellectuels qu’il prenait — à tort ou à raison — pour des « contrerévolutionnaires
», « des agents de la cinquième colonne armés par l’impérialisme international »
pour déstabiliser son régime et récupérer sa révolution. Peut-être n’avait-il pas tout à fait tort, même
s’il y eut des pointes d’exagération et des dérapages. Toujours est-il que les cadres étrangers
retournèrent très vite chez eux, tandis qu’une partie des intellectuels guinéens choisissaient le
chemin de l’exil.
Ki-Zerbo ne resta qu’un an en Guinée et regagna enfin la Haute-Volta qui venait d’être
« indépendante » en 1960 et qui, certainement, avait tout autant besoin d’hommes comme lui. Le
taux de scolarisation en Haute-Volta n’était que de 4 % à peine et le pays manquait dangereusement
de cadres à tous les niveaux de la vie nationale. Tout restait à faire pour cette ex-colonie malmenée
qui aura servi, tout au plus, au développement des colonies voisines selon, bien sûr, les intérêts de la
métropole.
4
Dans le domaine particulier de 1’éducation, deux principaux défis étaient à relever avec une
certaine urgence : augmenter l’offre éducative (en développant les structures d’accueil pour les
enfants, en créant des écoles normales pour la formation des maîtres) et améliorer la qualité et
l’efficience externe d’un système éducatif héritier fidèle de l’école coloniale dont il avait des
difficultés objectives et subjectives de s’écarter, bien que cette rupture s’imposât déjà et, hélas,
continue de s’imposer.
La personnalité militante du professeur, alors seul agrégé de la Haute-Volta (qui savait en
être fière d’ailleurs), après l’expérience malheureuse de la Guinée, allait peser sensiblement sur son
engagement pour une éducation africaine rénovée apte à promouvoir un développement véritable et
harmonieux au bénéfice des peuples africains et voltaïques. Toute sa vie y sera consacrée : participer
à la formation des futurs cadres dont le pays a et aura besoin, contribuer à la définition puis à la mise
en oeuvre d’une éducation démocratique, moteur du développement et de l’émancipation des
peuples, jouer un rôle essentiel dans les institutions interafricaines et les forums internationaux ayant
les problèmes de l’éducation et de la culture au centre de leurs préoccupations (OUA, UNESCO et
UNICEF).
C’est alors que tour à tour, et souvent cumulativement avec ses fonctions de professeur (au
lycée puis au Centre d’enseignement supérieur de Ouagadougou), il fut président de la Commission
nationale pour l’UNESCO, inspecteur d’académie et directeur général de l’éducation nationale en
Haute-Volta. Aux niveaux africain et international, il fut président de la commission « Histoire et
archéologie » du premier Congrès des Africanistes à Accra en 1962, membre du bureau du Congrès
des africanistes (1962-1969), président du Colloque sur l’encyclopédie africaine (1962), président
de la Commission consultative pour la réforme des programmes universitaires dans les pays
francophones d’Afrique. Plus tard, il fut l’un des initiateurs et fut le premier secrétaire général de
l’important organisme qu’est le CAMES (Conseil africain et malgache pour l’enseignement
supérieur) (Ki-Zerbo, 1978, dos de couverture). Cette institution interafricaine, grâce à
l’uniformisation des programmes d’enseignement supérieur et à la définition commune des
conditions de promotion des carrières des enseignants du supérieur, concourt à la réalisation de
l’unité africaine par l’éducation. Cette liste de ses responsabilités est loin d’être exhaustive : cet
homme « connaît » bien l’éducation en Afrique, ses problèmes, leurs fondements et n’a pas fini de
proposer des solutions.
Comme on peut le constater, les repères épistémologiques de la pensée du professeur Ki-
Zerbo sont : la confiance en soi à partir du « connais-tu toi-même », le « penser par soi-même et
pour soi-même », l’altérité bien comprise, la référence critique au passé et l’importance
irremplaçable de la recherche qui s’appuie sur la sagesse populaire africaine. On devinera par
conséquent pourquoi il accorde tant d’importance à l’éducation — au sens plein du terme —, fort
de la conviction qu’il a que « les facteurs clés de la promotion africaine » sont : « la formation des
hommes » et « l’unité africaine » (Ki-Zerbo, op. cit., p. 632).
Théorie et pratique de l’éducation selon Ki-Zerbo
L’approche systémique nous paraît être celle qu’adopte Ki-Zerbo tant dans sa pensée que dans les
actes qu’il propose de conduire : liaison régulière entre théorie et pratique ; interdépendance entre
passé, présent et avenir ; perception globale et intégrative de l’homme et du développement ;
approche unitaire du continent africain pour son développement qui doit être intégral et
harmonieux.
Sa préoccupation pour la transdisciplinarité participe justement de ce principe. En Afrique,
peut-être plus qu’ailleurs, il n’y a pas de discipline, il n’y a que des problèmes !
Si le professeur Ki-Zerbo a produit quelques documents spécialisés sur l’éducation d’une
manière systématique tel que Éduquer ou périr (1990), sa pensée sur l’éducation transparaît dans
toute sa production intellectuelle, plus ou moins explicitement mais toujours avec pertinence,
5
révélant par là même la forte unicité de la représentation qu’il a du « phénomène » transversal par
excellence qu’est l’éducation. Aussi est-il utile, pour rétablir une telle pensée, de se référer à certains
de ces ouvrages qui ont fait date tel que Histoire de l’Afrique noire (1978) et La natte des autres
(pour un développement endogène en Afrique) (1992).
Par exemple c’est dans son ouvrage célèbre sur l’histoire du continent noir que l’on peut
comprendre et le sens et l’importance de l’éducation comprise alors plus comme un moyen, un outil
opératoire (théoriquement et pratiquement), que comme une fin. Elle est le maillon décisif du long
processus devant fournir la réponse à la question qui, assurément, lui paraît plus fondamentale que
tout : « Comment renaître ? » Question saugrenue sans doute, sinon qu’elle trahit une certaine
nostalgie du passé, une interrogation existentielle sur les causes de la situation actuelle d’un
continent qui, jadis, fut le berceau de l’humanité3 et qui, aujourd’hui, est à la traîne, faute de
sciences, de techniques et de connaissances !
Quoiqu’il pense que l’unité africaine est primordiale par rapport à « la formation des
hommes », Ki-Zerbo se tourne plus vers les intellectuels que vers les hommes politiques pour
instaurer une « néocivilisation africaine, autonome, créatrice et progressive », la seule à même de
propulser le développement. Cette conviction restera constante à côté des autres conditionnalités
qui émergent, pour l’essentiel, du vaste domaine du savoir. Car les trois types de « diversion » qu’il
dénonce comme étant autant d’entraves pour le renouveau africain relèvent d’abord du paradigme
que « la diversion stérile vers le passé » sera évitée, tout comme le seront « la diversion
économiste » et « la diversion technocratique ».
À chacune des ces « diversions » correspondra une réaction intellectuelle spécifique :
combattre et vaincre « le complexe muséographique » par rapport au passé (qui consiste à recueillir
matériellement le passé au lieu de se recueillir sur lui-même en tant que source d’inspiration et
éventuellement problème à comprendre et à résoudre) ; rester attentif au peuple non aligné
détenteur de la « culture authentique », laquelle ne devrait être admirée pieusement, mais, au
contraire, devrait être réfléchie, rationalisée, voire critiquée, avant que de pouvoir générer la
néoculture africaine. Celle-ci ne sera ni la « culture de nos ancêtres » ni celle qui tente de s’imposer
à nous sans nous et parfois contre nous4 . On comprend alors tout le sens et tout le rôle — nous
dirons la lourde et historique responsabilité — que Ki-Zerbo reconnaît à l’intelligentsia africaine,
partant, à l’éducation en Afrique.
Par « éducation », Ki-Zerbo entend non seulement l’éducation scolaire d’inspiration
occidentale, mais aussi l’éducation traditionnelle qui a produit tant d’intellectuels et de savants
(1978, p. 642). L’école n’épuise pas, à elle seule, le besoin d’éducation de l’homme, loin s’en faut !
Elle n’est qu’une opportunité parmi d’autres, certainement la mieux organisée mais peut-être même
pas la meilleure, surtout en Afrique. Cependant, c’est à l’éducation scolaire et universitaire, et à la
recherche scientifique, qu’il se réfère souvent dans la réflexion qu’il ne cesse de nourrir sur les
conditions du développement en Afrique. À ce titre, il s’en prend, avec raison et légitimité, à
certains courants et intellectuels non Africains qui, de nos jours encore, persistent à nier l’urgence
ou l’intérêt du développement de l’enseignement universitaire africain au profit d’une éducation de
base, d’un enseignement technique élémentaire (agricole notamment), sous le prétexte discutable
que l’Afrique est trop pauvre pour soutenir des universités et qu’elle est essentiellement agricole5.
Certes, l’éducation de base universelle et efficace demeure encore une priorité pour
plusieurs États africains, eu égard au faible taux de scolarisation, et l’alphabétisation une exigence
encore actuelle du développement, compte tenu de l’état d’analphabétisme dans lequel végètent les
populations adultes, celles du monde rural, en particulier. Mais, laissées à elles-mêmes, sans le
concours vivifiant de l’université et de la recherche scientifique qui leur en assureront les
réorientations ou les adaptations nécessaires, l’éducation de base et l’alphabétisation tourneront en
rond, se disqualifieront avant de lasser les apprenants et leur famille qui s’en détourneront. Pour être
efficaces et efficientes, elles devront subir des modifications touchant à la fois à leur structure, à leur
fonctionnement, à leur contenu et à leurs finalités dans la perspective de l’émancipation culturelle et
6
psychologique des bénéficiaires et des attentes sociales placées en elles. Dans ce domaine
également, Joseph Ki-Zerbo s’est beaucoup investi, surtout au Burkina Faso. Nous y reviendrons
plus loin.
En attendant, contentons-nous de rappeler que c’est aux intellectuels — donc aux
universitaires et aux chercheurs — qu’il confie le soin d’être les leaders « d’une migration spirituelle
sans déracinement », par le truchement de l’éducation (qu’ils ont reçue et qu’ils dispensent). Cela se
fera d’abord par « l’africanisation » : africanisation des programmes et mise en oeuvre d’une
méthode pédagogique qui privilégiera la culture d’un « esprit nouveau », d’un esprit d’observation
apte à la création, par la libération de l’imagination et de la saine curiosité des enfants, en passant
par la nécessaire introduction des langues africaines6.
L’allusion aux limites de l’éducation traditionnelle africaine, dont le culte de la mémoire et
l’introversion exagérée, est évidente ici, ainsi que la dénonciation de l’école actuelle qui se fait
presque exclusivement en français, avec une forte résistance à l’utilisation des langues nationales. En
effet, l’on reconnaît aujourd’hui que si l’éducation précoloniale a eu ses vertus, elle reste insuffisante
en face de l’étendue et de la mobilité effroyable des connaissances et des références à assimiler, et
des exigences de la science et de la culture contemporaines. Si le mode de communication orale
(seul en usage dans l’éducation traditionnelle) cultive la mémoire, il favorise moins l’intelligence et
la réflexion soutenue que l’écriture.
Encore une fois, il revient à l’université de jouer le « rôle pilote » : par les sciences et les
techniques, elle doit — entre autres — travailler à lier l’éducation classique à l’éducation populaire,
à partir de la prise en compte systématique des besoins et des aspirations réels des masses et les
exigences du monde contemporain. C’est à elle encore qu’incombe la responsabilité de faire naître la
néoculture qui s’impose désormais à l’Afrique et qui passe par une sublimation du passé.
C’est pour tous ces principes théoriques que nous avons pensé juste de résumer la
contribution de Ki-Zerbo à l’émancipation théorique et pratique de l’éducation par les deux
formules équivalentes suivantes : « le développement clés en tête » et « le développement
endogène ».
Quels sont les sens et les implications pratiques de telles formules ?
Du point de vue de leur signification, ces formules sont l’expression ramassée de ce qui est pour Ki-
Zerbo une véritable obsession : la primauté absolue de l’éducation et la nécessité tout aussi
catégorique de compter d’abord sur soi-même. Ces deux formules reviennent comme un leitmotiv
dans l’oeuvre de cet intellectuel africain qui, fier de ses origines et conscient de la mission à
accomplir pour son pays, est profondément préoccupé de la délicatesse avec laquelle le présent doit
« traiter » le passé pour préparer l’avenir.
Si, comme nous le pensons, la première formule est suffisamment explicitée, il convient
d’insister quelque peu sur la seconde, ne serait-ce que pour lever une certaine ambiguïté, liée en
partie à la compréhension qu’on peut avoir de l’épithète « endogène ». D’abord « endogène »
signifie non pas « autarcisme », ni repli sur soi, ni référence unilatérale et obsessionnelle au passé ou
au « traditionnel », mais revendication préalable d’être soi-même avant tout commerce avec autrui.
La politique de la « main tendue » ou des « usines clés en mains » a suffisamment fait
montre de ses limites, de sa nocivité pour le développement de l’Afrique. Pendant longtemps et trop
souvent, en effet, on a pensé pour l’Afrique et à sa place, la confinant dans une position de
« mineure » perpétuelle, parfois même incapable de savoir ce qu’elle veut. C’est tout comme si on
pouvait faire le bonheur de quelqu’un « derrière son dos », sans sa participation et son avis. En fait,
Ki-Zerbo refuse pour l’Afrique et les Africains « les prothèses qui nous dispenseraient d’user de nos
propres jambes » (1992, p. IV). Bien sûr, il ne s’agit pas pour lui de récuser l’aide internationale et la
coopération entre les peuples : « la civilisation contemporaine » est aussi celle du monde présenté
comme un village planétaire, tant les interdépendances sont nécessaires et plus fortes que jamais.
7
Encore faudrait-il que chacun apporte sa pierre, s’exprime sans se diluer dans une solution dont le
destin relève seulement de quelques-uns.
Le « développement endogène » dont il est question ici signifie l’autodéveloppement, au
moyen de la recherche, de la formation et de l’action pratique, qui récuse à la fois l’imitation
enfantine, l’option passéiste et le repli autarcique sur soi, lesquels apparaissent comme autant de
travers de la tendance qu’on observe encore chez bon nombre de responsables africains (politiciens,
c’est-à-dire décideurs comme intellectuels) : tendance facile mais trompeuse à copier ou à mimer ce
qui se passe ailleurs ; tendance à se lamenter sur le passé, ce faux « bon vieux temps » ; tendance à
rechercher vainement « la voie africaine du développement », en isolant idéologiquement l’Afrique
du mouvement général d’une époque à laquelle elle appartient de gré ou de force ; tendance enfin à
vouloir profiter des fruits du travail humain qui, malgré tout, est le fait de certains peuples plus que
d’autres. Un dicton africain assez connu et repris par Ki-Zerbo reconnaît que « dormir sur la natte
des autres, c’est comme si on dormait à terre », même si être homme, c’est être fier de la victoire
des autres, comme disait Saint Exupéry. Encore faut-il qu’on soit conscient d’avoir participé à cette
lutte. En fait, c’est ce que recommande Ki-Zerbo pour l’Afrique : le « développement endogène »
suppose et exige qu’elle prenne ses responsabilités et les assume en toute liberté, en apportant sa
pierre à la construction de l’humanité.
Or, sur beaucoup de fronts de la bataille, l’Afrique a brillé par son absence, ou est seulement
apparue sous des couverts, préférant battre pavillon étranger. Les excuses avancées hier pour
justifier cette carence sont aujourd’hui difficilement admissibles. L’Afrique dispose maintenant — en
principe — des préalables indispensables à sa participation responsable et spécifique au
développement : la souveraineté internationale ainsi que les compétences techniques et
intellectuelles. Nous disons toutefois « en principe » car, malgré tout, nos potentialités demeurent
encore trop souvent dans la virtualité sans parvenir à « s’actualiser ». Encore une fois, c’est par la
recherche, la recherche-développement en particulier et l’éducation universitaire, qu’il faudrait
assurément passer. Car, « le seul fait que 85 % de la recherche sur l’Afrique s’opère en dehors de
l’Afrique montre bien que ce continent est déconnecté de lui-même et surtout de sa matière grise »
(Ki-Zerbo, 1992).
La fuite des cerveaux africains, l’extranéité de la recherche par rapport aux réalités et aux
préoccupations du continent et la modicité des ressources consacrées à la science apparaissent
comme l’une des causes structurelles du retard du développement et du mal-développement des
pays africains. La balkanisation de l’université africaine, avatar regrettable de la balkanisation de
l’ensemble du continent, vient aggraver la situation : il est urgent, sinon capital, d’inscrire les
universités dans le pré carré des domaines de souveraineté nationale. Malheureusement, la plupart
des établissements d’enseignement supérieur et des centres de recherches scientifiques sont encore
sous tutelle économique, mais, pire encore, suivent des orientations étrangères à leurs priorités.
Personne mieux que Ki-Zerbo n’a eu le courage de le dire et de le dénoncer. Plus important encore,
il est l’un des rares, parmi les intellectuels africains, qui, après ce constat difficile, se soient jetés dans
l’action. Au rôle qu’il a joué dans la création du CAMES s’ajoutent plusieurs autres faits qui
attestent de cet engagement. Au niveau conceptuel d’abord, au travers des expressions du genre
« développement clés en tête », « recherche-développement », « développement endogène », « cité
éducative » puis de la création et de l’animation de centres d’études et de recherches divers.
Ki-Zerbo ne s’est pas contenté de « dénoncer », de faire de l’intellectualisme et de la théorie
facile ; il s’est aussi engagé concrètement sur le terrain.
Ki-Zerbo, un praticien de l’éducation en Afrique
On peut être curieux de savoir si, chez Ki-Zerbo, la pratique de l’éducation a précédé sa théorie
éducative ou si, au contraire, c’est celle-ci qui a inspiré celle-là. La préoccupation est loin d’être
gratuite et la réponse évidente. Professeur, il l’a été sous des formes et à des niveaux divers, tout au
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long de sa vie professionnelle active, mais tous les enseignants ne sont pas devenus des théoriciens
ou des philosophes de l’éducation comme Kant, Hegel, Abdou Moumouni, Pierre Erny, Guy
Beloncle.... D’un autre côté, bon nombre de « théoriciens » de l’éducation n’auront jamais été des
enseignants ni des éducateurs célèbres, à l’image de Rousseau ; d’autres enfin, tels que Kane, se
sont limités à quelques éléments de réflexion sur le problème à l’occasion d’oeuvres romanesques.
Pour le continent africain, Ki-Zerbo est l’un de ces intellectuels qui ont su allier théorie et pratique,
et qui se sont engagés à mettre en oeuvre leurs idées et leurs convictions philosophiques et politiques
avec rigueur et esprit de suite.
Au Burkina Faso, déjà, quoiqu’il n’ait jamais été ministre de l’éducation, sa présence, tantôt
implicite, tantôt explicite, dans la détermination des politiques d’éducation n’a pas fait défaut. Par
exemple, nous soupçonnons fortement sa main et surtout son esprit dans la première réforme
véritable du système éducatif du pays en 1970, après l’expérience mitigée de l’éducation rurale
(1962-1975) ; en effet, les orientations générales de la réforme de 1979 réapparaissent presque
textuellement dans la célèbre étude qu’il a dirigée au compte de l’UNESCO-UNICEF, et qu’il
intitula : Éduquer ou périr. Les idées-force sont les mêmes : éducation intégrale et intégrante qui
prend en compte tous les niveaux (enseignement de base, secondaire et universitaire) ;
démocratisation de l’éducation ; liaison entre éducation et formation ; réduction des écarts entre
ruraux et citadins par et dans l’éducation ; création et animation de la « cité éducative » et
intégration sociale de l’école ; valorisation de la culture africaine et lutte contre le complexe
d’infériorité par l’adoption des langues nationales et une lecture positive de l’histoire de l’Afrique ;
éducation à la démocratie et pour la défense des Droits de l’homme ; développement de
l’enseignement technique, de la formation professionnelle et de la recherche scientifique : unité du
continent avec, pour porte d’entrée principale, l’éducation contre la désintégration africaine.
Joseph Ki-Zerbo est resté fidèle à ses convictions qui transparaissent dans sa pratique, vis-àvis
de l’éducation au moins. Parmi ses convictions, celle qui dit que « on ne développe pas, on se
développe » nous paraît la plus fondamentale. Sa formation d’historien, de même que l’histoire de
sa race, de son continent, de son pays et certainement la sienne propre y sont pour quelque chose.
Cette même conviction l’amena à créer à Ouagadougou, en 1980, le Centre d’études pour le
développement africain (CEDA). Le CEDA — aux mains des intellectuels burkinabés et africains
— se veut un cadre de réflexion où plusieurs thèmes liés aux questions du développement sont
traités et discutés. Cette structure, qu’il anime avec de jeunes chercheurs d’origines disciplinaires
diverses, a l’ambition de devenir un foyer pour le renouveau culturel burkinabé à travers les études
qui y sont conduites dans l’optique de la recherche-action.
Outre ce centre, le professeur continue d’animer la vie intellectuelle nationale par les
multiples conférences qu’il donne ici ou là, chaque fois que sa sagesse et ses compétences sont
requises. Véritable pèlerin, on le retrouve à la plupart des réunions africaines où il arbore, avec une
fierté légitime, le titre très honorifique de « doyen », avec tout ce que ce mot comporte comme
symbole de reconnaissance dans l’univers mental africain.
Au niveau continental, il a contribué à la création du Centre de recherche pour le
développement endogène (CRDE), qui a son siège à Dakar et pour devise, comme par hasard, « On
ne développe pas, on se développe ». Au-delà de cette devise, qui est en soi toute une philosophie
de lutte et de vie, cette ONG à base interafricaine et interdisciplinaire pourrait servir à la
matérialisation sublime de l’engagement et du sens que Ki-Zerbo accepterait volontiers de donner à
sa vie. Pour s’en convaincre, qu’il suffise de citer les principes fondateurs du CRDE : « La
recherche fait partie intégrante du développement, comme une des dimensions au droit au
développement mais aussi comme étape structurelle de tout changement positif. Sans recherche
endogène, il n’y a pas de développement endogène. Il n’y a pas de progrès, même matériel, sans
réflexion théorique, sans science et conscience de la pratique7 ».
Par sa vocation, le CRDE voudrait rompre avec une certaine pratique, une certaine
configuration devenue classique, hélas, des organisations africaines où le discours, les déclarations
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d’intention et les accusations faciles ont le beau rôle. Il s’agit ici d’appréhender les contradictions,
les enjeux, les risques et les chances du non-développement actuel dans tous les domaines ; de
mettre à jour, par des études concrètes, la dynamique des facteurs internes et externes du mal
africain, singulièrement par l’analyse de leurs articulations. Il faut contribuer à l’édification d’une
société qui soit à la fois une version contemporaine positive de l’africanité et une version africaine
positive de la « civilisation contemporaine », précisent les statuts du centre. Et Ki-Zerbo d’ajouter :
« Nous voulons participer par là à l’autodéveloppement par la recherche, la formation et l’action
pratique » (1992).
Quelle formule pourrait mieux résumer la démarche intellectuelle et l’engagement militant
de cet homme dont le profond optimisme n’a d’égal que sa foi en l’avenir du continent africain ? Un
avenir qui passera par l’éducation ou ne sera pas.
Conclusion
Globalement, force est de constater que, pour être un ensemble de principes et de professions de foi,
une philosophie de l’éducation africaine assortie des conditions à la fois précises et certainement
réalistes et réalisables, les analyses hardies du professeur Ki-Zerbo relèvent encore de la théorie.
Une théorie pratique mais une théorie quand même ! Quel sort lui sera-t-il réservé ? Ce que devrait
être l’éducation en Afrique pour l’avenir, nous le savons désormais. Mais, pour sa mise en oeuvre,
une donne essentielle tarde à se manifester, comme elle devrait le faire à la suite de l’action réflexive
et de recherche d’intellectuels tels que ceux qu’interpellent le CRDE et le CEDA. Il s’agit de la
donne politique. Le temps n’est pas encore venu où, faute d’avoir des « philosophes » au pouvoir,
les hommes au pouvoir soient des « philosophes ».
Les difficultés que le philosophe Ki-Zerbo a rencontrées et rencontre encore sur la scène
politique nationale semblent nous inviter au pessimisme. Son parti (successivement Mouvement de
libération nationale, puis Union progressiste voltaïque et enfin Parti pour la démocratie et le
progrès), constitué à partir de la petite bourgeoisie intellectuelle, a visiblement de la peine à trouver
écho dans la conscience des populations burkinabées, bien que, au nom de son principe de
« réalisme critique », Ki-Zerbo n’ait jamais été totalement absent de la scène politique nationale
(Tenaille, 1970, p. 203).
De plus, l’indépendance politique du continent — l’une des conditions nécessaires pour des
réformes en profondeur dans tous les domaines, a fortiori celui de la formation des hommes et la
définition libre des options d’un développement endogène — demeure une question à résoudre, au
même titre que celle de la démocratie.
Mais « la lutte continue », comme Ki-Zerbo se plaît lui-même à répéter, tel un refrain, à la
fin de chacune de ses interventions politiques. Il faut, avec des forces sans cesse renouvelées,
persister à répéter la vérité. Insensiblement, elle fait son chemin, quoi qu’on fasse. L’éducation en
Afrique en sera progressivement marquée. Des acquis indéniables se manifestent çà et là, et les
prises de conscience de la nécessité inéluctable d’une « néo-éducation africaine » s’installent de plus
en plus, même chez les décideurs politiques. Le chemin sera certainement long mais l’espoir est
permis : un jour, l’« utopie » peut devenir réalité.
Notes
1. Amadé Badini (Burkina Faso). Titulaire d’un doctorat d’État ès lettres et sciences humaines et maître
assistant à l’Université de Ouagadougou, Burkina Faso, il est actuellement Directeur général de l’École
normale supérieure de Koudougou (ENSK). Spécialiste en sciences de l’éducation à partir d’une formation
en philosophie (doctorat 3e cycle), il a surtout travaillé sur l’éducation traditionnelle africaine, la pédagogie
de l’oralité et l’éducation de base (aspects qualitatifs), l’éducation permanente et l’alphabétisation des
adultes, l’évaluation des systèmes éducatifs, l’éducation non formelle et l’éducation de la petite enfance.
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À ce titre, il a plusieurs fois participé à des études à l’UNESCO et à l’UNICEF, en Afrique et ailleurs
(Europe, Asie).
2/. « Le développement clés en tête » est le titre donné par le professeur Ki-Zerbo à la communication
faite lors du colloque organisé par le Centre de recherches pour le développement endogène (CRDE) à
Bamako en 1989 et publiée dans l’ouvrage La natte des autres (pour un développement endogène en
Afrique), 1992, p. 3-67.
3/ J. Ki-Zerbo. 1992, p. 22-24. Notamment : « Or, les premières techniques scientifiques ont été données
au monde à partir du berceau africain et cela jusqu’aux millénaires pendant lesquels l’Égypte a été
l’institutrice de la Grèce et du Bassin méditerranéen dans son ensemble », p. 23.
4/. « Il ne s’agit plus tellement de chanter la négritude mais d’agir. Il ne s’agit pas de se lamenter sur un
paradis perdu, car il n’y a pas de paradis perdu. Il ne s’agit pas de roucouler notre peine, ni de célébrer
nos valeurs passées, mais de transformer notre propre moi collectif afin d’y trouver des raisons
d’espérer ». J. Ki-Zerbo, 1978, p. 643.
5/ Ki-Zerbo fait allusion directement à certaines institutions internationales (Banque mondiale, FMI) et à
certains auteurs comme Guy Beloncle, qui a écrit La question éducative en Afrique noire, Paris,
Karthala, 1989.
6/ Selon Ki-Zerbo, le français doit être appris « de plus en plus comme langue vivante étrangère en
tenant compte du substratum des langues africaines », 1978, p. 642.
7/. Principes du CRDE, rappelés par J. Ki-Zerbo dans La natte des autres..., 1992.
Références
Beloncle, G. 1984. La question éducative en Afrique noire. Paris, Karthala.
Ki-Zerbo, J. 1978. Histoire de l’Afrique noire. Paris, Édition Hatier.
- ——. 1986. Histoire générale de l’Afrique, Tome. I : Méthodologie et préhistoire africaine. Paris, Présence
africaine, Edicef, UNESCO.
- ——. 1991. Histoire générale de l’Afrique, Tome. IV : L’Afrique du XIIe au XVIe siècle. Paris, Présence
africaine, Edicef, UNESCO.
- ——. (dir. publ.). 1990. Éduquer ou périr (Impasses et perspectives africaines). Dakar-Abidjan, UNESCOUNICEF.
- ——. (dir. publ.). 1992. La natte des autres (pour un développement endogène en Afrique). Actes du colloque
du Centre de recherche pour le développement endogène (CRDE). Paris, CODESRIA/Karthala.
Tenaille, F. 1970. Les 56 Afrique — Guide politique I, de A à L. Paris, Petite collection Maspéro.
Pourquoi ce peu d’intérêt de la part de l’establishment politique du Sud à se doter
des moyens pour qu’une communauté scientifique puisse voir le jour?
Joseph Ki-Zerbo
http://www.ibe.unesco.org/publications/ThinkersPdf/kizerbof.PDF
http://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_7/carton07/010008889.pdf
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